17 déc., 2022

Retour sur le mont Cacune

Le mont Cacune vu du mont Romigny

Dans notre précédent billet consacré au Perche gallo-romain, nous citions Katherine Bry et Danielle Ferey pour lesquelles l’existence d’une grande ville romaine nommée Montcacune « appartient plutôt au domaine de la légende(1) ».


Amis de Sainte-Céronne, nous souhaitions revenir sur cette affirmation afin de savoir quelle était cette légende et si derrière ne se cache pas une part de vérité.


Comme l’indique Fabrice Morand(2), c'est dans un manuscrit datant du XIe siècle détenu par l'abbaye du Valdieu et attribué à saint Adelin, évêque de Sées, que figure la mention « monte quem prisci incae vocabant Cacunem », se traduisant par « la montagne que les anciens textes appelaient Cacune ».


Au XVIIe siècle, Bart des Boulais, se référant à ce manuscrit, écrivit que « près de Mortaigne, en la paroisse de Saincte-Céronne y a une montagne appellée de tout tems le Mont de Cacunne sur laquelle, comme l'on tient de tradition des anciens, estoit anciennement basty une grande ville qui portoit le nom de Cacunne en laquelle les Percherons faisoient leurs vœux et sacrifices à la déesse Isis laquelle ville fut depuis ruinée et de présent et de longtems le dict mont se laboure auquel se trouve encore descaves voutées, des murailles et fondemens de maisons et bastimens des dictes ruines et quelques apparences de fossés(3) ».


L’abbé Louis-Joseph Frêt, historien du Perche et curé de Champs, voyait dans la présence d’une nécropole romaine sur le Mont Romigny et d’une voie romaine à proximité, la confirmation de la présence d’une ville importante sur le Mont Cacune. La présence de la voie romaine est attestée. Elle partait de Condé-sur-Iton, passait par Lignerolles et Champs, et se dirigeant vers Mortagne puis Bellême, passait à proximité du mont Romigny. Sur ce site où se trouve l’actuel cimetière et où fut érigée au XIIe sièce une église romane, les fouilles archéologiques récentes effectuées par Jean-David Desforges et Fabrice Morand semblent indiquer que la nécropole est postérieure à l’époque romaine, les sépultures découvertes datent de l’époque mérovingienne(4).


L’abbé Frêt, venu sur place, nous fait part de ses observations et de ses découvertes : « L'emplacement de Montcacune est depuis grand nombre de siècles, livré à la culture. Dès le temps où Sainte Ceronne vint fixer sa demeure en ces lieux, il ne restait que quelques débris de cette ville, parmi lesquels les ronces et les broussailles croissaient en quantité. Quand la population eut pris de l'accroissement, on arracha les terres au ravage de ces plantes parasites pour les cultiver; on déblaya le sol qu'on a toujours labouré depuis. Au premier aspect, on ne pourrait jamais soupçonner qu'il eût existé une ville en ces lieux ; mais, en creusant dans certains endroits, on trouve à six ou sept pouces de profondeur, quantité de briques et de ciment, posés sur des fondemens en pierre, à chaux et à sable : ces murs ont au moins six pieds d'épaisseur. Les débris arrêtent quelquefois le soc de la charrue, et les blés dépérissent assez ordinairement sur l'étendue de terrain occupée par ces fondemens.

Les pièces de terre où s'élevait Montcacune sont bornées, au Midi, vis-à-vis du village de Saint-Marcel, par un énorme ravin de quinze pieds de profondeur, sur vingt de largeur : au sommet de ce ravin existe une fontaine connue de tout temps, sous le nom de fontaine de la Bonne-Sainte-Ceronne. Quoique située à 13 ou 14 pieds au-dessus du niveau du fond du fossé, elle est toujours remplie d'une eau claire et limpide, que viennent chercher les habitans des lieux circonvoisins, pour se préserver ou se guérir des fièvres ; seulement, dans les grandes chaleurs de l'été, l'eau y est assez rare, quoique cependant elle n'ait jamais été entièrement à sec(5) ».


Pour le curé de Champs, « des restes d'édifices voûtés, des fondemens de maisons construites en briques de grande dimension, posées en agrafe les unes sur les autres, et que lie ensemble un ciment très dur ; des fragmens de briques et de tuiles romaines, des morceaux de poterie d'un grain très fin, recouverts de vernis de plomb luisant, et de couleur rouge pâle, épars ça et là sur le sol ; une quantité de pièces de monnaies en grand et en petit bronze, trouvées à différentes époques [...] avouent hautement la présence des Romains dans cette ville : le genre de construction, la nature des matériaux ne laissent aucun doute qu'ils en furent si non les fondateurs, du moins les possesseurs, à l'époque de leur domination dans les Gaules ». En effet, pour lui « l'antique Montcacune était une cité de la Gaule, antérieure à la domination romaine dans ce pays. Les fondemens d'édifices qu'on trouve encore, bâtis à la manière des Romains, et les autres monumens qui indiquent d'une manière incontestable leur présence dans ces lieux, montrent seulement, que pendant le long espace de temps où elle fut en la possession de ces maîtres du monde, ils y construisirent différens édifices, restaurèrent et embellirent à leur manière cette cité gauloise, dont les constructions grossières et informes en usage chez les indigènes, ne répondaient nullement aux besoins et au goût des enfans de la superbe Rome, surtout au siècle d'Auguste ».

Quant à la destruction de Montcacune, l’abbé Frêt, se fondant sur les pièces de monnaie trouvées sur place, s'est forgé une conviction : « Comme je n'ai pu découvrir aucune médaille remontant jusqu'au quatrième siècle, et que les plus modernes, ne vont pas au-delà de l'an 260 de J.-C., je pense,et c'est à mon avis la seule conjecture vraisemblable, que la ville de Cacune, ou Montcacune, fut ruinée sous le règne de l'empereur Dioclétien, par les pirates Saxons [...] vers l'an 284 ou 285 de J.-C.(5) ».


Fabrice Morand conclue, suite à l'exploitation des ressources historiques disponibles et à l'examen des relevés archéologiques ayant notamment permis de découvrir « pour la partie haute de Mont-Cacune, un lot de 201 fragments de poteries gallo-romaines, datée du début du Ier à la fin du IIIe siècle (2) » et pour la partie basse, la présence d’une dizaine de bâtiments : « Les indications anciennes ainsi que les indices contemporains relevés sur le site avec l’appui des photographies aériennes permettent d’affirmer que le Mont-Cacune a été occupé par une villa gallo-romaine d’étendue moyenne avec une ferme dépendante, les ouvriers vivant plutôt dans la partie basse formée d’un hameau.

Selon les indices, l’occupation débute vers l’an 50 avant J.-C., sachant que quelques éléments du néolithique trouvés sur place n’ont jamais fait l’objet d’étude précise et pourraient conclure à la possibilité d’une occupation antérieure à la conquête romaine (2) ».


Si la présence romaine à Sainte-Céronne depuis la conquête de la Gaule par Jules César jusqu’à la fin du IIIe siècle ne fait plus de doute, ce fut sous la forme d’un domaine rural et non « d'une ville considérable » comme le croyait l’abbé Frêt. Comme l’ont noté les différents archéologues venus prospecter sur le territoire de Sainte-Céronne, la richesse historique de la commune mériterait des recherches archéologiques plus larges et plus complètes que celles réalisées jusqu'à maintenant au coup par coup, à l’occasion des aménagements publics. Mais nous sommes trop éloignés des centres universitaires et le Perche, contrairement à la Corse, ne possède pas encore son université qui permettrait à nos enfants de rester au pays pour se former mais aussi pour étudier l'histoire et la culture percheronnes.




(1) Katherine Bry et Danielle Ferey, Mémoire du Perche, Larousse, septembre 2001

(2) Fabrice Morand, Sainte-Céronne-lès-Mortagne, nouvelles données archéologiques sur le Mont-Cacune, Cahiers Percherons n° 207, 3e trim. 2016

(3) Léonard Bart des Boulais, Recueil des antiquitez du Perche, 1613
(4) Jean-David Desforges, Histoire du Mont-Romigny, Cahiers Percherons n° 177, 1er trim. 2009

(5) Louis-Joseph Frêt, Antiquités et chroniques percheronnes (tome 1), 1838

 

Le bourg de Sainte-Céronne-lès-Mortagne vu du mont Cacune