Les premiers habitants

"Les premiers habitants de l'arrondissement de Mortagne dont nous parle l'Histoire sont les Gaulois. (...) l'ancien Perche et par conséquent l'arrondissement de Mortagne appartenaient aux Cenomani. Ce peuple formait la plus importante des trois divisions de la tribu des Aulerces. (...) Le territoire montueux et boisé des Cenomani leur facilitait la résistance aux Romains ; toutefois elle ne fut pas de longue durée. Maîtres du pays, ceux-ci le sillonnèrent de routes en tout sens. Les routes qui traversaient l'arrondissement de Mortagne ont été observées et décrites avec soin par M. Vaugeois. Leur direction principale était du pays des Carnutes au bord de l'Océan ; elles pouvaient, dans une direction opposée, conduire au fond de l'Armorique. Les établissements de Mézières, de Sainte-Céronne, et plusieurs autres moins importants, le monument si curieux de la fontaine de la Herse, dans la forêt de Bellesme, tendraient à prouver que, sous la domination romaine, l'arrondissement de Mortagne ne fut pas seulement un lieu de passage, mais une sorte de chef-lieu politique et commercial."

Extraits de la Notice sur l'arrondissement de Mortagne par M. de la Sicotière dans l'Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie (1838) de l'Association normande

Pièces retrouvées au hameau de Saint-Marcel

Pièces retrouvées au hameau de Saint-Marcel

Montcacune vue par Louis-Joseph Frêt, curé de Champ

A une lieue Nord de Mortagne, le long du chemin de cette ville au bourg de Soligny, sur le plateau d'une colline exposée à l'orient, s'élevait dès les temps les plus reculés, une ville considérable, que la tradition des lieux, d'accord avec un ancien manuscrit de la chartreuse du Val-Dieu, désigne sous le nom de Montcacune. Elle était située dans l'espace contenu entre le grand village de Poix et le bourg de Saint-Hilaire.

Des restes d'édifices voûtés, des fondements de maisons construites en briques de grande dimension, posées en agrafe les unes sur les autres et que lie ensemble un ciment très dur; des fragments de briques et de tuiles romaines, des morceaux de poterie d'un grain très fin, recouverts de vernis de plomb luisant, et de couleur rouge pâle, épars ça et là sur el sol; une quantité de pièces de monnaies en grand et en petit bronze, trouvées à différentes époques avouent hautement la présence des Romains dans cette ville : le genre de constructions, la nature des matériaux, ne laissent aucun doute qu'ils en furent sinon les fondateurs, du moins les possesseurs, à l'époque de leur domination dans les Gaules.

L'antique Montcacune était une cité de la Gaule, antérieure à la domination romaine dans ce pays. Les fondements d'édifices qu'on trouve encore, bâtis à la manière des Romains, et les autres monuments qui indiquent d'une manière incontestable leur présence dans ces lieux, montrent seulement, que, pendant le long espace de temps où elle fut en la possession de ces maîtres du monde, ils y construisirent différents édifices, restaurèrent et embellirent à leur manière cette cité gauloise, dont les constructions grossières et informes en usage chez les indigènes, ne répondaient nullement aux besoins et aux goûts des enfants de la superbe Rome, surtout au siècle d'Auguste. Montcacune resta plus de deux siècles et demi au pouvoir de ces nouveaux maîtres, puisque l'on y a découvert des pièces de monnaie portant l'effigie d'empereurs romains, postérieurs à Auguste de plus de deux cents ans.

Comme je n'ai pu découvrir aucune médaille remontant jusqu'au quatrième siècle, et que les plus modernes ne vont pas au-delà de l'an 960 de J.-C., je pense, et c'est à mon avis la seule conjecture vraisemblable, que la ville de Cacune, ou Montcacune, fut ruinée, comme je l'ai insinué ci-dessus, sous le règne de l'empereur Dioclétien, par les pirates saxons, lorsque ces barbares fondirent sur les Armoriques dont le Perche faisait partie, et la dévastèrent vers l'an 284 ou 285 de J.-C., à l'époque où ils détruisirent la ville d'Essey, distante de cinq lieues de Montcacune, pour la remplacer par le ville de Séez.

On peut se faire une idée de l'étendue de cette ville, en parcourant le plateau allongé qui s'étend du Nord au Sud, depuis le village de Poix, jusqu'auprès de Saint-Hilaire, et depuis son sommet à l'Ouest, jusqu'à la base du mont Romigny au Sud-Est, dont la petite rivière d'Hoësne fait la séparation. Le village de Saint-Marcel était enfermé dans l'enceinte de Montcacune. Sur le plateau opposé nommé le Mont - Romigny, à l'Ouest de l'église de Sainte-Céronne, bâtie sur sa croupe, à la fin du neuvième siècle, était le cimetière de l'antique Montcacune, l'espace de terrain contient environ quatre arpents.

Comme les Romains plaçaient leurs tombeaux hors de l'enceinte de leurs villes, et le long de la voie publique, le cimetière dont je parle se trouvait aussi sur le bord d'une voie romaine; ce chemin, comme l'a observé notre savant confrère M. Vaugeois, partant de Condé-sur-Iton, passait par Lignerolles et Champs, arrivait par ce côté à leur Mons-Cacuna, où il ne s'arrêtait pas; car à partir de la ville il passait au-delà de l'église Sainte-Céronne, se dirigeait au Sud-Est, par le hameau de la Bellefilière, commune de Saint-Hilaire, puis continuait vers Mortagne et l'intérieur du Perche, où les Romains avaient une ligne de postes militaires; il devait passer par la fontaine de la Herse dans forêt de Bellême, où était un établissement romain. J'ai été à même, vu la proximité des lieux, d'examiner des vestiges de cette voie romaine, bien reconnaissable, surtout dans ma paroisse, à l'Ouest du village des Marres, en allant à celui de Poix, commune de Sainte-Céronne.

Le champ de sépulture des anciens Gallo-Romains de Sainte-Céronne, renfermait et renferme encore, un grand nombre de cercueils en grison, dont la forme est absolument la même que celle des sarcophages d'aujourd'hui : on ne peut guère creuser le terrain sans en découvrir. 

L'emplacement de Montcacune est depuis grand nombre de siècles, livré à la culture. Dés le temps où Sainte Céronne vint fixer sa demeure en ces lieux, il ne restait que quelques débris de cette ville, parmi lesquels les ronces et les broussailles croissaient en quantité. Quand la population eut pris de l'accroissement, on arracha les terres au ravage de ces plantes parasites pour les cultiver; on déblaya le sol qu'on a toujours labouré depuis. Au premier aspect, on en pourrait jamais soupçonner qu'il eut existé une ville en ces lieux; mais, en creusant en certains endroits, on trouve à six ou sept pouces de profondeur, quantité de briques et de ciment, posés sur des fondements en pierre, à chaux et à sable : ces murs ont au moins six pieds d'épaisseur. Les débris arrêtent quelques fois le soc de la charrue, et les blés dépérissent assez régulièrement sur l'étendue de terrain occupée par ces fondements. Les pièces de terre où s'élevait Montcacune, sont bornées, au Midi, vis-à-vis du village de Saint-Marcel, par un énorme ravin de quinze pieds de profondeur, sur vingt de largeur : au sommet de ce ravin existe une fontaine connue de tout temps, sous le nom de fontaine de la Bonne-Sainte-Céronne. Quoique situé à 13 ou 14 pieds au-dessus du niveau du fonds du fossé, elle est toujours emplie d'une eau claire et limpide, que viennent chercher les habitants des lieux circonvoisins, pour se préserver ou se guérir des fièvres; seulement, dans les grandes chaleurs de l'été, l'eau y est assez rare, quoique cependant elle n'ait jamais été entièrement à sec. A partir de ce ravin est un chemin tendant à Saint-Marcel, connu depuis un temps immémorial sous le nom de Chemin-des-Potiers. 

Une voie romaine, à Tall Aqibrin à côté d'Alep en Syrie.

Une voie romaine, à Tall Aqibrin à côté d'Alep en Syrie.

La voie romaine

Extraits de l'"Histoire des antiquités de la ville de L'Aigle et de ses environs" (1841) par J-F Gabriel Vaugeois

La cinquième route sortait de Condé avec la quatrième que nous venons de décrire, et se séparait d'elle, comme nous l'avons dit, vers le bois de Malouis, après avoir traversé l'Iton à Saint-Nicolas-d'Athez. De là, suivant les hauteurs de la rive droite de cette rivière, elle arrivait à Chanday, par Cintray, Francheville, Bourth et le Theil. De Chanday elle allait à Cruslay qu'elle laissait à gauche, passait à la Barre, vis-à-vis la Chapelle-Viel, et au Châtelet, ancien chef-lieu de la seigneurie d'Aspres. Ces trois derniers endroits ont été, ainsi que Cintray, anciennement fortifiés.
Un peu plus loin, réunie avec le chemin qui vient de l'Aigle par Aspres, elle montait vers celle des sources de l'Iton qui fournit de l'eau aux étangs de la Trappe, et se rendait, par Lignerolles, à Sainte-Céronne, autrefois le Mont-Cacune, (Mons Cacunae), où les Romains ont eu un établissement considérable, comme on peut en juger par l'étendue de terrain qu'occupe ses ruines, et les médailles, les urnes, les tombeaux que l'on y a trouvés.

La voie romaine, dans tous le trajet que nous venons de parcourir, a continué de porter le nom de Chemin-Perré qu'elle conserve encore. Entre le Theil et Chanday on en voit, sur une grande longueur, le pavé assez intact pour qu'on puisse en plusieurs endroits en mesurer la largeur qui est de dix-huit à vingt pieds.

Au sud de Sainte-Céronne, on la retrouve encore vers le hameau de Belle-Filière : plus loin, nous ne la reconnaissons plus. Nous pensons (...) qu'elle conduisait à Jublains, chef-lieu des Diablintes. On doit croire en effet qu'il y avait des voies de communication établies entre les trois peuples Aulerces ; et celle que nous venons de suivre jusqu'à Sainte-Céronne, s'avançant au-delà, dans la même direction et sans quitter les hauteurs, parce qu'il fallait éviter les fondrières du Perche et du Bas-Maine, et passant par les points qu'occupent aujourd'hui le château de Mauregard, les Gaillons à l'ouest de Mortagne, le Montisambert, ancienne forteresse des comtes du Perche, Alençon, Condé-sur-Sarthe, la Pouté et Villaines, pouvait arriver à Jublains, en suivant depuis Évreux, au désir des ingénieurs romains, la route la plus droite possible.

Un nom populaire donné à cette route, et une croyance populaire qui s'y rattache, sembleraient annoncer qu'elle était encore praticable, même pour une armée, au commencement du treizième siècle. Des vieillards, dans nos campagnes, ont entendu appeler ce chemin-perré le chemin de la reine Blanche ; d'un autre côté on assure à Mortagne que Saint-Louis a logé pendant plusieurs jours à Long-Pont, château fortifié qui existait alors sur la Sarthe, non loin de Sainte-Céronne : la reine Blanche serait elle venue par là pour aller faire, en 1229, le siège de Bellesme ?

Sainte Céronne, vitrail de la cathédrale de Sées

Sainte Céronne, vitrail de la cathédrale de Sées

Céronne, évangélisatrice du Perche

Céronne aurait vécu au Ve siècle, mais son culte ne fut célébré localement qu'à partir du XIXe siècle.

La légende

Selon la légende, Céronne naquit vers l'an 410 à Corneilhan près de Béziers, dans une famille païenne. Son père Olympius était gouverneur de la ville et, comme son épouse Sarrabia, il demeurait attaché au culte des idoles. Céronne convainquit un de ses frères, Sophronius, de se convertir au christianisme, et de s'exiler avec elle. Ils partirent vers Bordeaux où l'évêque Amand les instruisit et leur donna le baptême.

Accusés quelque temps après de n'être pas frère et sœur, mais de cacher ainsi des mœurs dépravées, ils prirent la résolution de se séparer : le frère partit à Rome où il mourut en odeur de sainteté; la sœur, empruntant les voies romaines, parvint jusque dans le Perche.

Elle choisit de s'arrêter Entre le mont Cacune, ancienne ville romaine et le mont Romigny. Elle s'installa au bord de l'Hoëne, dans un lieu solitaire couvert de bois, y bâtit une petite chapelle dédiée à saint Marcel (le pape Marcel Ier) et fit construire un oratoire sur le mont Romigny. Avec l'accord de l'Évêque de Sées, elle fonda une communauté.

Céronne tentait d'attirer au christianisme les païens de la contrée, mais mêlait cette entreprise d'évangélisation avec une pratique contemplative.

Elle puisait l'eau nécessaire à sa subsistance à deux sources qui existent encore, l'une face au hameau Saint-Marcel nommée Fontaine de la Bonne-Sainte-Céronne et l'autre, en contrebas de la colline, nommée Fontaine de l'Orion.

Sur la fin de sa vie, elle devint aveugle. Elle continua cependant de se rendre quotidiennement de Saint-Marcel au mont Romigny, les deux lieux où se trouvaient ses oratoires, éloignés l'un de l'autre d'environ deux cents pas. Afin de rendre le trajet plus facile, elle fit tendre de l'un à l'autre un fil de fer qui servait à guider ses pas chancelants. On rapporte que, par malice, des enfants ou des bergers rompirent plusieurs fois ce fil conducteur qui toujours se trouva miraculeusement renoué.

Elle mourut le 15 novembre 490. Son corps fut inhumé dans l'oratoire de Saint-Marcel où se produisirent plusieurs guérisons miraculeuses. Le bruit s'en répandit et son tombeau fut la destination de nombreux pèlerinages. Les habitant des hameaux voisins, voyant la grande vénération que l'on avait pour la sainte, craignirent qu'on leur en vola les reliques, comme il arrivait souvent à cette époque. Ils exhumèrent donc son corps et le mirent en sécurité dans l'oratoire du mont Romigny qui était moins accessible.

La dépouille de Sainte Céronne aurait ainsi été oubliée durant trois cent ans ce qui lui aurait permis d'échapper aux pillages des envahisseurs normands.

C'est seulement vers 912 qu'Adelin, évêque de Sées, suite à des visions, aurait fait procéder à des fouilles en plein champ et , dans les ruines de l'oratoire du mont Romigny, découvert un sarcophage contenant le corps de Céronne et un récit de sa vie ou une tablette mentionnant le nom de la sainte.

Il fit bâtir l'église Sainte-Céronne au pied du mont Romigny pour servir de châsse au tombeau de la sainte. Son orientation lui valut l'épithète irrévérencieux de "Sainte-Céronne la mal tournée". En effet, les églises romanes étaient traditionnellement orientées vers l'Orient. Le principe de l’orientation des lieux de culte chrétiens était fondé sur la lumière (donc sur le soleil) comme symbole du Christ (considéré comme la Lumière du Monde). D'où une orientation est/ouest, l'abside tournée vers le Levant. Or, les corps découverts dans la nécropole mérovingienne du Mont-Romigny à l'occasion des fouilles archéologiques étaient le plus souvent orientées la tête vers le Nord.

Ensuite, au cours de la Guerre de Cent Ans, les Anglais auraient volé les reliques de la sainte pour les transporter à l'Abbaye du Mont-Saint-Michel. Seul un bras de Céronne et une petite portion de ses ossements furent rendus et rapportés dans l'église paroissiale. Le bras fut déposé sur l'autel de la sainte Vierge. Les autres reliques furent enfermées dans un buste représentant Sainte Céronne. On ne sait pas ce que sont devenus le reste des reliques.

Le point de vue des historiens

Aucune source historique ne permet ni d'attester de l'existence de Céronne, ni a fortiori de connaître aucun détail de sa vie. L'existence de Sainte Céronne était attesté dans un manuscrit de l'Abbaye de Saint-Évroult que l'on croyait perdu suite aux exactions révolutionnaires. Mais, en 1976, Henri Barthès, auteur d'une "Histoire de Corneilhan", découvrit une copie de ce texte en latin à la BNF. Il la publia croyant avoir trouvé un document antique. Mais, selon l'historien François Dolbeau auteur de "La vie latine de Sainte Céronne ermite en Normandie : essai d'interprétation d'une légende", il s'agirait en fait d'une amplification rhétorique de la Vie de Saint Longis, composée entre 1050 et 1150 par un clerc du Diocèse de Séez à des fins de pure édification.

Postérité et vénération

En 1794, un révolutionnaire venu de Mortagne-au-Perche, nommé Follet, s'empara du buste-reliquaire et ravagea tout dans l'église. Il oublia néanmoins le bras-reliquaire de la sainte.

Deux paroissiennes enlevèrent le bras reliquaire de l'église pour le protéger et le rompirent en deux afin que si l'un morceau se perdait on conserva au moins l'autre. Après la Révolution, elles rendirent les deux fragments au curé de Sainte-Céronne.

La sainte n'était célébrée qu'au sein du diocèse de Sées mais le rite fut approuvé à Rome en 1857.

En 1863 une parcelle des reliques fut envoyée à Baltimore (USA) au séminaire Saint-Charles.

L'organisation d'un petit centre de pèlerinage se développa au XIXe siècle attirant les chrétiens des environs. Seul le jumelage chrétien avec les habitants de Corneilhan conféra un rayonnement plus large, quoique limité.

En effet, en 1898, une délégation de personnes originaires de Corneilhan, où Céronne était née, vint chercher un fragment de l'os de la sainte, au cours d'une cérémonie présidée par Dom Etienne Salasc, abbé de la Grande-Trappe. La même année, des pèlerins de Sainte-Céronne se rendirent à Corneilhan, ce qui marqua le début d'un jumelage cultuel entre les deux villages.

À partir de cette époque, la dévotion populaire invoque Sainte Céronne pour guérir les fièvres et l'on se rend à la fontaine de "la Bonne Sainte Céronne" dont les eaux sont réputées soulager ces maladies. L'eau de la fontaine de L'Orion où la sainte puisait l'eau pour soulager les maux ophtalmiques qui l'affectèrent avant sa mort est recueillie par les personnes qui souffrent des yeux. Mais l'eau ne coule plus que par un petit ruisseau, la fontaine ayant été détruite. Elle ne sera restaurée qu'en 1982.

Pendant le XIXe siècle jusqu'au début du XXe, une relique de Céronne est portée en procession, le 15 novembre, anniversaire de la mort de Sainte Céronne, et le troisième dimanche de juillet, qui marque le souvenir de sa translation de Saint-Marcel au mont Romigny. Aujourd'hui encore, des messes sont célébrées à ces dates, dont l'une le troisième dimanche de juillet à l'occasion de la fête communale de Sainte-Céronne-les-Mortagne.

En 1990, le 1500e anniversaire de la mort de Sainte Céronne fut fêté à Sainte-Céronne-lès-Mortagne, en présence de l'évêque Yves-Marie Dubigeon.

Motte féodale du Plessis-Poix

Motte féodale du Plessis-Poix

La motte féodale du Plessis-Poix

"Cependant, une fois la forteresse en place et la vallée de l'Huisne verrouillée, les Rotrou ne semblent pas se satisfaire de la seule garde du château de Nogent. Leur ambition territoriale est trop forte pour se contenter de la place qui leur a été attribuée. Ils vont chercher à se constituer un domaine plus étendu au milieu des grandes principautés qui les entourent. Ils tentent d'abord, semble-t-il, de s'étendre vers l'Est où ils rencontrent -probablement- la résistance de leur propre seigneur le comte de Blois et de son vassal, sur place, le vicomte de Chartres. Dans cette direction, ils paraissent bloqués, non loin de Nogent. (...)

Les Rotrou se tournent alors vers l'Ouest, vers cette région forestière, à peine colonisée. Ils entreprennent une remontée de la vallée de l'Huisne par la rive gauche, ils s'enfoncent comme un coin entre le duché de Normandie, au Nord, et la seigneurie de Bellême qui occupe déjà la rive droite de l'Huisne, au Sud. Cette conquête est marquée par la construction de château qui sont tous des ouvrages de terre, des mottes : Rivray (Condé-sur-Huisne), Saussay (Bretoncelles), Rémalard, Maisons-Maugis, Corbon peuvent être considérés comme les étapes de cette avancée. Ils prennent avant le milieu du XI e siècle, Mortagne où un château du même type est élevé (la Butte Saint-Malo) avant d'atteindre les rives de la Sarthe, fortifiées de la même façon (mottes de Soligny-la-Trappe, de Plessis-Poix (Sainte-Céronne), de Saint-Aubin de Courteraie, de Saint-Sulpice-de-Nully, du Jarrier (Champeaux), de Longpont, etc.).

La vallée de la Sarthe restera définitivement la frontière entre la nouvelle seigneurie et le duché de Normandie.placement idéal pour raconter votre histoire et pour que vos visiteurs en sachent un peu plus sur vous."

La motte comme moyen de conquête du sol et comme instrument de la seigneurie châtelaine (XI e -XII e siècle) : l'exemple de quelques châteaux à motte du Perche, Joseph Decaëns, 1997

Benjamin West,

Benjamin West, "Crossing the Somme"

Les Anglais défaits à Sainte-Céronne

" Charles V, fils et successeur de Jean le Bon, parvint, en 1375, à reprendre Mortagne sur les Anglais. Il en fit raser le château et abattre les murailles pour les mettre hors d'état de servir désormais de retraite à ses ennemis (1378). En 1391, Jean Ier , comte d'Alençon et du Perche (...), fit reconstruire le château ou fort Toussaint ; mais tué à la bataille d'Azincourt (1415), il laissa les travaux de défense de la ville inachevés. Son fils Jean II les termina. Le comte Jean Ier avait été aidé dans ces travaux de reconstruction par le chapitre de Mortagne qui lui fournit pour l'exécution l'argent nécessaire. En retour le comte avait concédé aux chanoines l'exemption des droits d'octroi (1411). Ces fortifications élevées à grands frais, ne sauvèrent pas la ville d'une nouvelle occupation anglaise. Si, une première fois, Mortagne avait vu l'étranger, sous la conduite de Philippe Blanche, battu par le comte d'Aumale devant ses murs, à Sainte-Céronne, elle ne sut pas lui résister lorsqu'il vint l’assiéger après sa victoire de Verneuil (1421)."

Histoire de Mortagne, A. Racinet, 1899

 "Le dauphin prit Gallardon en Beauce en 1422, pendant que le duc d'Alençon s'avançait jusqu'à Bernay en Normandie.Craignant d'être allé un peu loin, il laissa une garnison dans cette ville et revint dans le Perche. Il rencontra des troupes anglaises aux environs de Mortagne, près de Sainte-Céronne. Les Français masqués par des haies ayant pu s'avancer près de l'ennemi, sous la conduite d'Ambroise de Lorret, au service du duc d'Alençon, les Anglais furent battus malgré une résistance acharnée. Ils perdirent treize cents morts et trois cents prisonniers. La bataille bâtit son plein entre l'église de Sainte-Céronne et l'église de Tourouvre. René Courtin raconte qu'à son époque, c'est à dire au début du XVIIe siècle, on trouvait encore à cet endroit des armes et des cottes de maille."

Histoire du Perche, Georges Trolet, 1933

 "Le régne du duc Jean II fut le plus long de l'histoire des princes qui gouvernèrent le Perche (50). Ce fut aussi le plus catastrophiques malgré les qualités guerrières du duc Jean. (...). En 1424, il fit un brillant mariage, épousant Jeanne d'Orléans, fille du duc assassiné et de Valentine Visconti, la femme la plus renommée de son temps. Cette même année, Jean était revenu sur le territoire de ses états, alors qu'il n'était âgé que de quinze ans ; il livra sa première bataille rangée contre les Anglais entre Mortagne et Mamers, non loin de la Grossinière, « près de la Gravelle », précisent les chroniqueurs. Il avait mis en déconfiture deux mille Anglais et fait prisonnier leur capitaine, puis il poursuivit ceux qui s'étaient échappés, les rattrapa à Sainte-Céronne et en fit un grand carnage."

Histoire du Perche, Philippe Siguret, 2000

Guerre de religions en France

Guerre de religions en France

Incendie et destruction du hameau de Ronnel en 1590

Exaspérés au souvenir des atrocités commises par les calvinistes ou huguenots, sur les catholiques du pays, pasteurs et troupeaux, les habitants de Bazoches, de Saint-Hilaire et de Sainte-Céronne, fortement attachés à l'antique foi de leurs pères, s'étaient tous rangés sous l'étendard de la ligue, dont le principal but était de défendre l'église de France contre les attentats de la nouvelle hérésie.

Informés de la prise de Mortagne par les partisans du roi huguenot, ils volèrent tous aux armes, pour aller secourir leurs frères et leur prêter main-forte, afin d'expulser des ennemis dont le nom seul leur était en horreur. Ils avaient pour capitaine un nommé les Chenets-Hayots, originaire de Bazoches. Déjà ils étaient tous réunis en armes au hameau de Ronnel, situé entre les deux églises de Saint- Hilaire et de Sainte-Céronne, et contigu à ces deux localités, dont il semble former la bourgade. Avertie de cette levée de boucliers, la garnison royaliste qui occupait Mortagne, voulut étouffer l'insurrection à son berceau; elle vola donc au nombre d'environ 1500 hommes au hameau sus-dit, où les soldats laboureurs avaient établi leur quartier-général et s'étaient barricadés. Supérieurs en nombre et plus habitués au maniement des armes, ils ne tardèrent pas à forcer dans ses retranchements la milice improvisée, dont le courage et le bon vouloir ne purent, dans ce moment, suppléer l'inexpérience. Un instant vit commencer et finir la bataille ; les vainqueurs mirent le feu au village, les paysans effrayés cherchèrent à l'envi leur salut dans la fuite, laissant sur la place environ deux cents des leurs, dont les uns furent passés au fil de l'épée, et les autres grièvement blessés ou faits prisonniers. Les royalistes de retour, ruinèrent complètement ce qu'avait épargné la flamme et pillèrent aux environs, les maisons soupçonnées d'avoir favorisé l'entreprise.

Le village ne commença qu'à renaître de ses cendres qu'au retour de la paix, après l'intronisation de Henri IV. Le hameau de Ronnel, assez considérable, est situé à une lieue nord-ouest de Mortagne ; il est traversé par le grand chemin de cette ville à Soligny-la-Trappe.

Louis-Jospeh Frêt, curé de Champ

Illustration de la Nouvelle France

Illustration de la Nouvelle France

Un céronnais en Nouvelle France

Un certain Pierre Lande, dit L'Epine, originaire de Sainte-Céronne où il serait peut- être né à la mi-septembre 1616 fit partie des pionniers partis coloniser le Canada.

Le 19 mars 1647 devant Choiseau, notaire à Tourouvre, il est engagé par Pierre Juchereau, sieur des Moulineaux pour servir Noël Juchereau du Chastellier comme laboureur pour une durée de 3 ans moyennant 78 livres par an dont 6 livres d'avance. Sont témoins Guillaume Massard, marchand, et Michel Besnier, sergent royal. Il se serait probablement embarqué à bord de La Marguerite. On retrouve sa trace au bas d'un acte du 11 août 1647 à Québec. Il s'agit dune obligation d'Isaac Blineau à Vincent Breault, rédigé par Laurent Bermen, le premier tabellion à se qualifier de notaire royal en Nouvelle-France. Ensuite il disparaît et on ne peut qu'élaborer des hypothèses.

Pierre Lande est-il rentré en France après ses trois ans de contrat ? On retrouve un Pierre Lande marié à Judic Loride le 12 avril 1644 à Bellême. Le couple fait baptiser la plupart de leurs enfants à Bellême entre 1650 et 1658. Ils font baptiser un fils à Saint-Jean de Mortagne en 1645. Entre 1645 et 1650 on a aucune trace de cet individu dans le Perche. Il se pourrait donc que ce soit notre Pierre Lande ... ou peut-être un homonyme.

Pierre Lande est-il décédé au Canada ? Rien ne le prouve mais un ami de Pierre Lande, Jean Turcot d'abord installé à Québec fut capturé par les Iroquois dans la région de Trois-Rivières où il connut une fin tragique le 19 août 1652. Le fait est raconté dans toutes les Histoires du Canada :

Un parti de cent vingt Iroquois avait fait quelques prisonniers et enlevé des bestiaux. M. Du Plessis-Bochart, gouverneur des Trois-Rivières, voulant les reprendre et chasser les maraudeurs, fit embarquer sur des chaloupes quarante ou cinquante Français avec une douzaine de Sauvages. A deux lieues au-dessus du fort, il aperçut des Iroquois cachés dans des broussailles sur la lisière de la forêt. La grève était bordée de marécages qui rendaient la descente fort difficile. Malgré le danger de suivre les Iroquois dans les bois, il donna l'ordre de débarquer. Lui-même s'avança à la tête de ses hommes; mais, embarrassés par les difficultés du terrain et placés à découvert, les Français tombaient sous le feu d'adversaires qu'ils ne pouvaient ni voir ni approcher. Dans cette tentative désespérée, M. Du Plessis fut tué avec quinze de ses hommes; plusieurs restèrent prisonniers et les autres, se jetant dans leurs chaloupes, allèrent porter cette triste nouvelle aux Trois-Rivières. Peu de jours après ce désastre, des Français, étant allés visiter le lieu du combat, trouvèrent sur un bouclier iroquois ces mots écrits avec du charbon: Normanville, Francheville, Poisson, La Palme, Turcot, Chaillou, Saint-Germain, Onneiochronnons et Agnechronnons. Je n'ai encore perdu qu'un ongle.

C'est Normanville, jeune homme qui entendait la langue algonquine et iroquoise, qui écrivit ces paroles avec du charbon, pour faire savoir que les sept hommes dont on voyait les noms avaient été pris par les Iroquois de la nation d'Onneiout et d'Agnier et qu'on ne lui avait fait encore d'autre mal que de lui arracher un ongle.

Nul ne sait si Pierre Lande a connu une fin semblable et il est bien peu probable que le mystère soit un jour percé.

On estime à 1 500 000 les Québécois ayant des origines percheronnes. Alors, si Pierre Lande n'a pas fait souche dans le Nouveau monde, le lien entre Perche et Québec est encore bien vivant, et sans doute pour de nombreuses générations.